Critiques

Brice Laccruche Alihanga : le “repenti” qui accuse, mais que reste-t-il de la mémoire des victimes ?

À quatre semaines des élections législatives et locales, l’apparition télévisée de Brice Laccruche Alihanga sur TV5Monde ne laisse personne indifférent. Ancien homme fort du régime Bongo, tombé en disgrâce puis revenu à la lumière en tant que conseiller stratégique de l’Union Démocratique des Bâtisseurs (UDB), BLA livre un témoignage percutant sur sa descente aux enfers… mais aussi une version bien scénarisée de son retour, qui interroge.

Dans son entretien au Journal Afrique du 4 août 2025, Brice Laccruche Alihanga déroule une séquence dramatique, presque théâtrale : ses conditions de détention, son opposition frontale à Noureddin Bongo Valentin, et sa volonté aujourd’hui de tourner la page. Il affirme avoir dit non à un projet dynastique, et pour ce refus, il dit avoir payé le prix fort : isolement, cancer, poids perdu, dignité broyée.

Mais à mesure que le récit s’intensifie, une gêne s’installe : si ce témoignage vient troubler l’ordre de l’ancien pouvoir, il omet aussi une vérité difficile à éluder, celle des Gabonais ordinaires, ces milliers de citoyens qui, pendant que les élites se déchiraient, ont subi sans recours les politiques, les abus, les répressions et les injustices d’un système dont Laccruche fut un acteur central.

« Le prince voulait devenir roi” : une scène-clé pour un récit millimétré

L’échange privé rapporté entre lui et Noureddin Bongo, « Est-ce que tu es avec moi ou contre moi ? », sonne comme un moment de rupture mythique, taillé pour l’opinion publique. Laccruche y joue le rôle du fidèle devenu traître malgré lui, pour avoir refusé l’inacceptable. Mais ce récit, aussi captivant soit-il, ressemble moins à une confession qu’à une stratégie de repositionnement.

Oui, son témoignage éclaire les dérives mafieuses d’un pouvoir en déclin. Oui, il lève le voile sur des méthodes d’intimidation et de violence politique jusque-là tues. Mais il élude aussi une réalité : au moment des faits, il n’était pas un spectateur impuissant, mais un maillon essentiel de la machine.

En réapparaissant sous les habits de conseiller stratégique de l’UDB, le parti du président Oligui Nguema, Brice Laccruche Alihanga s’inscrit dans la logique du renouveau portée par la transition actuelle. Il parle d’un parti inclusif, de cadres neufs à 95 %, d’un tournant historique.

Mais son retour soulève une interrogation plus vaste : comment distinguer entre opportunisme et sincérité ? Peut-on, sans autocritique profonde, se présenter comme symbole d’une ère nouvelle quand on fut jadis l’un des visages les plus puissants de l’ancienne ?

Et surtout : que dire à ceux qui n’ont jamais eu, eux, ni micro, ni avocat, ni chance de se réhabiliter ? Ceux qui ont été expropriés, emprisonnés, exilés, ou simplement privés de tout, sans jamais être cités dans les récits de ceux qui se redisent aujourd’hui “victimes” ?

“Je dors là où je fais mes besoins” : la prison comme purification ?

Les conditions de détention décrites par Laccruche Alihanga sont d’une brutalité inouïe. Elles doivent être dénoncées, en droit, en humanité. Mais si sa souffrance est réelle, elle ne saurait faire oublier que les politiques autoritaires, les exclusions, les pillages et les abus de pouvoir que dénoncent aujourd’hui les anciens barons du régime ont laissé des cicatrices bien plus profondes chez les Gabonais ordinaires.

Et cette mémoire collective, souvent ignorée, mérite d’être remise au centre du débat : ce ne sont pas les anciens puissants qui ont le plus souffert du système Bongo-Valentin. Ce sont ceux qui n’avaient ni poste, ni palais, ni passeport diplomatique.

Une justice pour qui ? Une réconciliation à quel prix ?

Brice Laccruche plaide pour une justice rigoureuse, et appelle les anciens dignitaires à répondre de leurs actes. Soit. Mais ce devoir de vérité doit aussi s’appliquer à lui-même. La justice gabonaise, si elle veut être crédible, devra éclairer tout le système, pas seulement ses déviances récentes. Il ne saurait y avoir de réparation sans mémoire, ni de réconciliation sans responsabilité.

La scène politique comme théâtre de l’amnésie sélective

Le témoignage de BLA est spectaculaire, troublant, riche. Mais il est aussi symptomatique d’un phénomène plus large en Afrique centrale : cette capacité qu’ont certains anciens dirigeants à se recycler dans le camp du renouveau, à endosser le rôle de victime quand la roue tourne, sans jamais vraiment rendre de comptes.

Le peuple gabonais, lui, n’a jamais quitté le banc des accusés : il continue de payer la note des décennies d’impunité. Le moment viendra-t-il où ce sera enfin lui qu’on écoutera, et non seulement ceux qui ont survécu aux intrigues du sommet ?

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